On ne présente plus Jean-Marie Rouart. Ecrivain, essayiste, journaliste accompli, membre de l’Académie Française, chroniqueur dans les media, amateur d’art, et habitué du monde. Généreux, Monsieur Rouart a bien voulu répondre à une « interview passion » autour de La guerre amoureuse. Quand la blogueuse rencontre l’académicien..
LE ROMAN : La guerre amoureuse est l’histoire d’un directeur d’une revue d’art appelé en Finlande pour un congrès sur la critique littéraire. Bravant le froid et l’ennui, il est à mille lieux de prévoir que derrière la pureté des étendues blanches et glaciales se cache la passion brûlante et dévastatrice de sa vie, Helena, une jeune étudiante d’origine russe aux yeux bleu marine. Dès lors, il fera tout pour la revoir, l’avoir, l’aimer. Il subira la folie de la passion amoureuse, les assauts de son obsession maladive et des mensonges, les duperies sociales, les fourberies du monde artistique, et la tragédie de l’éloignement. Jean Marie Rouart a du style, et sait se jouer des hostilités passionnelles.
L’INTERVIEW :
Tika : Pourquoi écrire un roman d’amour ?
Jean-Marie Rouart : L’amour et la passion sont diffus dans mes romans, notamment dans Le cavalier blessé et Avant-guerre, je voulais ici mettre la passion au cœur de l’action, la mettre en scène, et en dévoiler l’obsession.
Tika : Qu’est ce qu’un cœur qui boîte ?
J.M.R. : Mon héros est bancale, "un pied dans la réalité, l’autre dans un rêve inaccessible". Il reste impuissant par rapport à son rêve d’amour. Et par rapport à la passion, c’est une claudication totale ! Le propre de l’amour, c’est d’inventer quelqu’un à partir d’une base. Comme cette jeune étudiante. Le danger de la passion, c’est le retour à soi, car un être objectivé, on ne l’aime plus ! Ici, plus Helena lui fait du mal, plus il se sent exister, plus elle devient une drogue, et plus il cherche à avoir mal.
Tika : Le mot barbelé revient, tel une sentence dans votre livre. Qu’est ce qu’une vie barbelée ?
J.M.R. : Des barbelés, c’est une clôture avec des pointes. Et le propre des gens sensibles, c’est de se blesser sur ces pointes de vie barbelée, ils se déchirent un peu de partout, comme mes deux personnages.
Tika : Faut-il avoir froid pour aimer ?
J.M.R. : Dans l’amour, la dialectique du chaud et du froid revient souvent. Toutes les métaphores de la passion sont liées à des images de chaleur : une femme chaude, un amour ardent, les flammes de la passion. Ce pays froid est une métaphore de l’indifférence, du rien. Comme dit William Faulkner « Entre le chagrin et le rien, je choisis le chagrin » !
Tika : Les mots sont-ils un personnage du roman ? Ici, ils claquent comme des coups de fouets, certaines lignes en sont même ébranlées..
J.M.R. : Votre vision est juste, ils sont au centre du roman. Ils vivent à côté des personnages, ont leur propre histoire, et nous servent de guide. Un livre d’écrivain est un livre qui se relit, s’approfondit. Lire, c’est une promenade que l’on souhaite refaire. Ce que j’aime apporter aux lecteurs, c’est la légèreté, ce qui me plaît c’est la vérité par la beauté. Une phrase belle est toujours vraie.
Tika : La guerre amoureuse aura-t-elle lieu ?
J.M.R. : Oui ! Il y a tout de même deux « morts de l’amour ». La mort d’Helena, qui cesse d’exister pour lui, dès lors qu’elle s’écarte de sa vie, et sa mort à lui, qui reste un amputé du cœur, quand elle part.
Oui, ils se sont fait la guerre, ils se sont affrontés. Des envies de la tuer reviennent à plusieurs reprises, tuer tout ce qu’elle a de propre, tuer ses démons. L’intérêt de nourrir cette pensé le fait vivre. Oui, c’est la guerre, avec ses codes : violence, passe d’armes, armistice, bagarre, traités de paix non respectés, guerilla, mensonges, et à la fin, une paix séparée. . tout en regrettant la guerre.
Tika : Helena n’est-elle pas le fruit de son imaginaire. Serait-elle sa dépression passionnelle ?
J.M.R. : Helena existe car elle est aimée. Elle devient un personnage mythique, un objet de culte, une déesse. Quand il cesse de l’aimer, la représentation est finie, et on se demande si elle n’a jamais existé, vous avez raison. Cette femme est un fantasme, car tout n’est qu’invention dans la vie amoureuse.
Tika : La passion en trois mots ?
J.M.R. : Invention - Exaltation - Souffrance.
Tika : Qu est-ce qu’une bonne critique amoureuse ?
J.M.R. : La critique n’a pas de place dans l’amour, car l’amour c’est l’abolition de l’esprit critique. On est dans l’irrationalité. L’idée de critique ne vient que des autres, des spectateurs de l’amour, non des acteurs, eux demeurent dans le rêve permanent.
Tika : Est-ce qu’être amoureux, c’est se réconcilier avec soi-même ?
J.M.R. : C’est le vouloir, mais à travers une guerre avec soi-même. On ouvre un conflit pour mieux se retrouver. Et au moment où l’on croit que l’on va se retrouver, non, on devient l’instrument de la guerre. Etre amoureux, c’est prendre un risque. C’est une quête de soi pour mieux s’explorer, tomber au fond de soi. C’est aussi un chemin vers la sagesse. Notre héros cherche l’impossible, il est bien l’archétype de l’humain, qui veut atteindre un rêve inatteignable. C’est un personnage à éclipses.
LA RENCONTRE : Quand la blogueuse rencontre l’académicien !
La plume de Jean-Marie Rouart se promène sur les étangs du savoir
comme une brise légère caresserait le cou d’un enfant au soleil
C’est grâce à l’art que nous nous sommes rencontrés, au détour de mes mots si inspirés et publiés sur ce même blog, qu’il a dit si poétiques et si sensibles au sujet de la peinture de son père, le peintre impressionniste Augustin Rouart*. Des ombres bleutées et des éclats de lumière paternels, je suis entrée dans son monde bien à lui, fait de belles lettres éclairées d’art. Prix Interallié pour « Les feux du pouvoir », Prix Renaudot pour « Avant-guerre », ancien directeur du Figaro littéraire, et actuellement écrivain résidant et chroniqueur à Paris Match, il est un habitué des plateaux de télévision, et comptabilise les interviews. Cependant il a accepté la mienne. On lui avait reproché d’être un peu lisse et académique dans son essai « Cette opposition qui s’appelle la vie », lors de l’émission On n'est pas couché du 18 avril 2009. Alors Jean-Marie Rouart contre-attaque et nous livre ici un roman fait de passion et de déchirements, aux chapitres ciselés, au verbe parfois cru, qui claque, où l’encre coule à flot, dans un débit libérateur, comme le sang gonfle les veines quand l’amour déborde. Et au delà de ses mots, des peintures nous viennent à l'esprit, une barque de Claude Monet, un chemin de campagne de Camille Corot, une rue parisienne de Gustave Caillebotte, ou l’on entend tous les bruissements de la vie. Oui, entre références littéraires et picturales, La guerre amoureuse est partagée. Elle est autant déchirante de vérités humaines, qu’elle est poétique et fleurie.
La guerre amoureuse de Jean-Marie Rouart, aux Editions Gallimard, 18€
A la télévision : retrouvez Jean-Marie Rouart dans Semaine critique de Franz Olivier Giesbert ce soir, et mercredi 26 janvier dans Face aux français de Guillaume Durand, sur France 2.
En savoir plus sur Jean-marie Rouart, ou l'Académie Française
Le blog de Jean-Marie Rouart sur Paris Match
Un beau reportage : La Corse de Jean-Marie Rouart sur Le Figaro.fr
*A lire, l'article "Augustin Rouart, paysagiste du réel" :
http://stylistika.hautetfort.com/archive/2009/10/10/augustin-rouart-artiste-peintre-et-paysagiste-du-reel.html
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