Bernard Rapp, ce grand homme cultivé et si charmant est parti le 17 août 2006, qui s’en souvient ? Moi.. et je voudrais lui rendre hommage à travers ce poème et ce texte que j’ai écris en mars 2006. Un homme merveilleux que la vie a écarté de moi, alors que nous étions en train de faire connaissance..
Ce post est long, mais c’est l’été, et nous avons le temps de lire. Plus qu’une chronique c’est une nouvelle..
Bernard Rapp, l’homme au pas lent
Je regarde l’homme au pas lent
Se déplacer sans faire semblant
Son manteau bleu marine suit son rythme
Pas blasé il en fait un hymne
Il cultive le mouvement
L’homme n’a plus le pas pressé
Qu’ont les jeunes de vouloir tout tenter
Quand il se tient devant vous
Il vous découvre du regard plus qu’il ne vous regarde
Il passe du temps sans vous juger
Mais à vous parler, il tarde
Et quand le mot vient vous piquer
On s’étonne de la volupté du timbre
Que l’on connaissait pourtant par cœur
On entre dans la mélodie du bonheur
Une fois, je croise son pas, nonchalant, deux fois, je caresse sa silhouette, lointaine, trois, quatre, des dizaines de fois, je le vois. Je sais une chose aujourd’hui : je ne sais pas ce qu’est le destin, mais il me fait croiser sa route, pour un rien. A chaque fois c’est un bonjour qui en dit long. C’est une présence chaque semaine. Un homme qui vit à côté de moi. Avec qui je partage une habitude de vie.
Alors les mots me guident, je les laisse s’exprimer. Ils me quittent, ils s’écrivent pour mieux lui parler. Je décide : je laisse le verbe écrire sa propre histoire, je ne lui parle pas, je lui écris. J’ai le projet de lui remettre une lettre..
Cher Monsieur, voyez ce texte comme « un petit jeu sans conséquence »…
Qui se cache derrière l’homme d’écrits et de cinéma, qui passe devant nos yeux, le pas lent ? Qui se régale d’une petite main dans la sienne, faite du verbe naissant et de sourires ? Qui est cet homme discret, au regard doux, et mélancolique, au phrasé mesuré? Il est tantôt un homme de terrain, tantôt un homme de bureau, qui aime se placer là où l’on ne l’attend pas. Moi, je ne l’attendais pas non plus. Pourtant, plus le temps avance, plus je le connais sans le savoir, le lis sans trouver ses lignes, l’entends sans jamais l’avoir écouté.
Depuis les années 80, où je l’ai vu tous les jours, aux émissions de l’après-midi - l’assiette anglaise était ma tasse de thé - en passant par celles du soir, que je ratais, pour cause d’école, je me souviens de cette voix familière qui résonne, de cet homme quotidien.
Les années passent, mon œil grandit, mon verbe aussi. Je redécouvre celui que j’avais laissé de côté, de l’autre côté de la caméra. Et là, je vois enfin en lui, tout ce que le journal télévisé, ou les émissions littéraires avaient seulement laissé entrevoir : un monde subtile, de la noirceur dans un gant de douceur. Un humour qui pique, des dialogues aiguisés, des acteurs qui grincent, des personnages malicieux, du cinéma humoristique, ou bien cérébral, hitchcockien, où le rire jaune frappe l’ennui noir, où le clair-obscur n’est pas qu’éclairage, il se fait décor, et devient un mode de penser, le sien.
Le clair-obscur de la psychologie humaine est sa quête depuis les premiers mots. Quand la caméra initie la rencontre, le clair-obscur endosse le verbe avant d’épouser l’acteur, qui lui-même divorce du mot, sitôt dit. Que ce soit dans une comédie, un thriller, un film littéraire, ou théâtral, le doux mélange de la lumière et de la nuit se répand. Il n’aime pas le cinéma facile. Cet homme est double, et aussi curieux que cela puisse paraître, il habite le monde des verseaux, comme moi. Créatures sont tantôt claires, tantôt sombres, elles savent contempler l’existence comme un terrain de jeu et de création, mais ont aussi le don d’être le filtre des travers humains.
Ses mille et un visages appellent des visions qui se superposent. Je le vois, comme James Ivory le ferait, finir ses jours auprès de sa tendre, dans un cottage isolé en campagne anglaise. Intéressé par les rumeurs du village voisin, il en adapterait des nouvelles. Ou comme Woody Allen, je le vois à New York, regardant du haut d’un building la frénésie du monde. Il en ferait une chronique intitulée « La vie d’en bas » ou «Street up». Ou encore comme Jean-Pierre Jeunet, assis à la terrasse d’un salon de thé, en éternel observateur de la vie. Il défragmenterait la vie des passants, scruterait celle des habitués et en ferait des courts-métrages. Pour lui, la vie n’a pas d’âge.
Personne ne se cache derrière cet homme. Comme je vois le mot, je vois en lui, et lui rend hommage, avec enthousiasme. L’innocence de mon geste trouvera un écho en lui, et le son de mes mots se mêlera aux siens pour me répondre, je l’espère..
Je rejoins la vision de Michel Onfray, en l’adaptant à l’écriture. Je vis le mot comme une philosophie épicurienne. Je suis une épicurienne du verbe. Ou comme François Lelord, je fais mon voyage d’Hector. Je reformulerai sa pensée concernant l’amour ainsi (« Pensée n°20 : l’amour, c’est toujours voir la beauté de l’autre quand les autres ne voient plus ») :
L’épicurisme du verbe, c’est toujours voir la beauté du mot quand les autres ne voient plus.
Une fois, je croise son enfant, qui m’adopte, spontanément, deux fois, je caresse le projet, lointain, d’écrire un texte sur l’homme, trois fois, j’écris un poème, des dizaines de fois les mots je vois. Je sais une chose aujourd’hui. Je ne sais pas ce qu’est le destin, mais ce texte croisera son chemin, pour un rien, pour un bien. Le mot est le meilleur messager pour saluer une habitude de vie partagée, une douceur de gentleman anglais, une présence, un éternel sourire intérieur.
Cher Bernard, j'ai aimé vos bonjour, mais je n'ai pas aimé votre au-revoir..